Segment : poésie sans foule

Publié le par anton abo

 Dieu est en haillons sur le pas de la porte. Mensonge éhonté, son visage est glabre, sans la moindre cicatrice, un flûteau à la ceinture… L’œil est vif, mais trop haut pour être saisi. Je l’invite à entrer, son menton s’affaisse devant l’étal de gibier. J’ai un tas de questions mais je préfère rester muet. Sa bouche engloutit les poulardes, les fraises, le vin sans un sourire, le regard est droit, on n’entend plus guère que ses mâchoires qui se jettent l’une contre l’autre. Cerné en bout de table où chacun le scrute rien ne semble le distraire. Bientôt la dernière bouchée est engloutie. Il s’essuie d’un revers de la manche, porte la main au flûteau, ses lèvres s’y posent, il parle. D'abord nous avions cru qu’il jouait pour nous remercier, mais la musique ne se tut pas lorsqu’il repassa la porte, dans les bois pendant longtemps le son aigre continua de résonner de tronc en tronc, jusqu'à ce que le silence lui réponde, définitif. Chacun alors s’est détourné, a rejoint les draps froids. Dieu était passé ce soir, insatiable, le regard vide. rien n’avait changé, tout était différent. Nous avions vu son visage, il n’avait pas vu les nôtres.

 La négresse a bercé trop de dieux, ses seins sont lourds de mauvais lait, elle se refuse à la fatigue mais nous la découvrons exsangue- immobile quand la marmaille s'est éparpillée pour dominer d'autres mondes, la laissant là, nourrice sans souffle, cheval de troie d'un Olympe étrangleur. La négresse râle à la vue du cercle des dieux trônant, indifférentes sangsues froides, peu leur importe les doux territoires de l'enfance, le lait maternel et quelques rôts de nouveau-né, ils ont d'autres ouailles à fouetter. Les hommes ont rompus leurs fils, tressautent comme des pantins fous, la liberté déforme leurs visages, rictus de haine et de joie mêlées. L'Olympe porte impuissant le masque de la crainte. La négresse s'épuise à râler, seule, couveuse à la croupe froide.

Publié dans Poésie

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